sábado, 11 de julho de 2015

PETROBRAS, PAR-DELÁ DE LA BOURSE ET SES ENNEMIS






(Les autres Brésils - Traduction Heléne Breant (Relecture Piera Simon-Chaix) - La crise a été précipitée à cause de l’erreur stratégique commise : répondre aux attentes des marchés et accepter un « calcul de la corruption » absurde. La campagne actuelle contre l’entreprise vise à la détruire – et non à rectifier ses erreurs.

Le report du bilan de la Petrobras pour le troisième trimestre de l’année dernière fut une aberration stratégique de la direction de l’entreprise, toujours plus vulnérable à la pression qu’elle subit de toutes parts. Dès le début de l’affaire, elle aurait dû affirmer qu’elle ne procèderait à une déduction comptable des éventuels préjudices dus à la corruption que lorsque ces derniers auraient été définitivement estimés, un par un, au fil des progrès de l’enquête.

La publication des résultats financiers il y a quelques jours, sans les chiffres qui n’auraient jamais dus être promis, a entraîné une nouvelle chute du prix des actions.

Et, évidemment, à de nouvelles réactions courroucées et disproportionnées, avec encore davantage de spéculation sur la valeur de la Petrobras - valeur subjective et sujette à fluctuations, comme celle de toute entreprise cotée en bourse, ainsi qu’à un regain d’attaques de la part de ceux qui comptent bien profiter des évènements pour détruire l’entreprise - y compris des hyènes d’autres pays si l’on en croit les dernières foutaises du Financial Times, lesquels adoreraient mettre en pièces et se partager, en s’en léchant les babines, les restes éventuels de l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde.

Qu’est-ce qui compte le plus pour la Petrobras ?

La valeur des actions, qui est elle aussi écrasée par une campagne qui va bien au-delà de l’intention d’assainir l’entreprise et de lutter contre les éventuels cas de corruption, notamment à travers des appels aux consommateurs, sur les réseaux sociaux, à cesser de faire le plein dans les stations-services de BR, à militer ouvertement pour qu’elle « s’effondre, et que tombe le gouvernement » - ou pour qu’elle soit privatisée, de préférence, et que des étrangers s’en voient confier les rênes afin de pouvoir, comme le clamait un internaute, « payer un real le litre d’essence, comme aux États-Unis » ?
Pour les investisseurs en bourse, la valeur de la Petrobras se mesure en dollars ou en réaux, selon la cotation du moment, et de nombreux spéculateurs font fortune, au Brésil et ailleurs, jour et nuit, en misant sur la fluctuation dérivée des titres mais aussi sur la campagne anti-brésilienne actuelle, reflétée dans le climat de « terrorisme » et le désir de « jeter de l’huile sur le feu » qui s’est emparé des espaces les plus conservateurs d’internet – pour ne pas dire des usurpateurs et autres fascistes, ne serait-ce que par connivence.

Pour les patriotes – et il y en a encore, fort heureusement – ce qui compte le plus, pour la Petrobras, c’est sa valeur intrinsèque, symbolique, permanente et intangible, et son rôle stratégique pour le développement et le renforcement du Brésil.

Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux de notre génération qui sont descendus dans la rue et qu’on a mis derrière les barreaux, ceux qui ont essuyé coups de matraques et bombes lacrymogènes pour exiger la création d’une entreprise nationale tournée vers l’exploitation de l’une des plus grandes richesses économiques et stratégiques de l’époque, dans une période où tous affirmaient qu’il n’y avait pas de pétrole au Brésil et que, s’il y en avait, nous n’aurions pas les moyens de l’exploiter, attardés et sous-développés que nous « sommes » ?

Que vaut la formation, au fil des décennies, d’une équipe de 86 000 employés, salariés, techniciens et ingénieurs - l’un des segments les plus complexes de l’action humaine ?

Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, n’ayant pas trouvé de pétrole en grande quantité sous terre, sont allés le chercher sous la mer, battant record après record en forant les puits les plus profonds de la planète ; ceux qui ont forgé des solutions, des savoirs-faire, des connaissances ; ceux qui ont érigé la Petrobras en fer de lance de l’exploration pétrolière à des centaines, voire des milliers de mètres de profondeur et ont fait d’elle l’entreprise la plus primée de l’histoire de l’OTC (Offshore Technology Conferences, évènement qui se tient tous les deux ans à Houston, Texas), à tel point qu’elle s’y est vu décerner l’Oscar technologique de l’exploration pétrolière en haute mer ?

Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, tout au long de l’histoire de la plus grande entreprise brésilienne – caractéristique qui dépasse largement son éventuelle valeur de « marché » - ont affronté les menaces de dénationalisation, y compris la tentative ignominieuse, pendant la tragédie pro-privatisation et "entreguista" [1] des années 1990, de changer son nom pour la baptiser « Petrobrax », ce qui lui aurait retiré sa condition d’entreprise brésilienne.

Que vaut une entreprise présente dans 17 pays et qui a fait la preuve de sa valeur dans la découverte et l’exploration de pétrole et de gaz, des champs du Moyen-Orient à la Mer Caspienne, de la côte africaine aux eaux nord-américaines du Golfe du Mexique ?

Que vaut une entreprise qui a réuni autour d’elle, au Brésil, l’une des plus grandes structures Recherche & Développement au monde, à Rio de Janeiro, y faisant venir, loin de leurs pays d’origine, les principaux laboratoires de certaines entreprises parmi les plus en pointe de la planète ?

Pourquoi, alors qu’il est devenu de bon ton, sur les réseaux sociaux et pas seulement sur internet, de faire montre de mépris, de haine et de discrédit envers la Petrobras, les entreprises mondiales de technologie les plus importantes continuent-elles à croire en elle et souhaitent-elles développer et conquérir, aux côtés de la plus grande entreprise brésilienne, les nouvelles frontières technologiques en matière d’exploration de pétrole et de gaz en eaux profondes ?

Pourquoi en novembre 2014, il y a donc à peine plus de trois mois, l’entreprise General Electric a-t-elle inauguré à Rio de Janeiro, suite à un investissement d’un milliard de réaux, son Centre Mondial d’Innovation, rejoignant ainsi d’autres entreprises qui ont déjà installé leurs principaux laboratoires près de la Petrobras, à l’instar de BG, Schlumberger, Halliburton, FMC, Siemens, Baker Hughes, Tenaris Confab, EMC2, V&M et Statoil ?

Que vaut le fait que la Petrobras soit la première entreprise d’Amérique Latine et celle qui réalisait en 2013 les meilleurs profits – plus de 10 milliards de dollars – alors que la MEMEX mexicaine, par exemple, essuyait plus de 12 milliards de dollars de pertes sur la même période ?

Que vaut le fait que Petrobras ait, au troisième trimestre 2014, ravi à l’entreprise nord-américaine EXXON sa place de premier producteur mondial de pétrole parmi les plus grandes compagnies pétrolières cotées en bourse ?

Il faut prendre garde à la déconstruction artificielle, facile et odieuse de Petrobras ainsi qu’à la spéculation sur ses pertes potentielles dans un contexte de corruption – cette spéculation qui n’est pas seulement économique, mais aussi politique.

En 2013, Petrobras a réalisé un chiffre d’affaires de 305 milliards de réaux. Elle investit plus de 100 milliards de réaux par an, exploite une flotte de 326 bateaux, gère 35 000 kilomètres de conduites, a plus de 17 milliards de barils en réserve, 15 raffineries et 134 plateformes de production de gaz et de pétrole.

Il est évident qu’un énergéticien d’une telle dimension et complexité qui, en plus de cela, est aussi présent dans les champs de la thermoélectricité, du biodiesel, des engrais et de l’éthanol, ne peut insérer dans son bilan les pertes éventuelles dues au détournement de ressources par voie de corruption qu’à mesure que ces détournements ou ces pertes sont « quantifiés » sans laisser planer aucun doute pour qu’ils soient ensuite, comme le disent « les marchés », « mis à prix » un par un - et non pas, comme cela s’est produit jusqu’à présent, par lot, avec des chiffres aléatoires, multipliés presque à l’infini.

Les chiffres stratosphériques (de 10 à plusieurs dizaines de milliards de réaux) qui contrastent avec l’argent effectivement découvert et détourné vers l’extérieur jusqu’à présent et nourrissent les « analystes » lorsqu’ils évoquent les pertes sans citer le moindre fait ou document à l’appui, rappellent l’affaire du « Mensalão ».

A l’époque, les adversaires des personnes impliquées finirent par se fatiguer de répéter à l’envi, dans la presse et ailleurs, mois après mois, que les révélations de Roberto Jefferson après que l’un de ses protégés a été filmé en train de voler dans une agence postale, étaient « le plus grand scandale de l’histoire de la République » - marotte désormais reprise largement dans l’affaire Petrobras.

En décembre 2014, une étude de l’Institut Avante Brasil, que l’on ne peut soupçonner de défendre la « situation », a recensé les 31 plus grands scandales de corruption des vingt dernières années.

Dans cette étude, le « Mensalão » — le national, pas celui de l’État du Minas Gerais – atterrit à la 18ème place du classement. Il concernait en effet moins de la moitié des ressources du « Trensalão » [2] du parti « tucano » [3] de São Paulo et une fraction 200 fois inférieure au montant du scandale du « Banestado » survenu pendant le mandat de Fernando Henrique Cardoso et qui, avec l’équivalent de quelque 60 milliards de dollars d’aujourd’hui, caracole en tête du classement [4].

Et personne, absolument personne parmi ceux qui qualifiaient le « Mensalão » de plus grand scandale de l’histoire du Brésil, n’a pris à ce jour l’initiative d’effleurer le sujet – et ce bien que le « Monsieur Dollar » de l’affaire Petrobras, Alberto Youssef, soit le même que dans l’affaire Banestado.

Les problèmes découlant de la chute de la cotation du cours international du pétrole ne relèvent pas de la responsabilité de Petrobras et affectent aussi ses principaux concurrents.

Ils proviennent de la décision prise par l’Arabie Saoudite de tenter de mettre à mal l’industrie de l’extraction de gaz de schiste aux États-Unis en augmentant l’offre saoudienne et diminuant la cotation du produit sur le marché mondial.

Comme le pétrole extrait par Petrobras est destiné à la production de combustibles pour le marché brésilien, qui doit progresser avec la mise en service de nouvelles raffineries comme Abreu e Lima, ou pour « l’échange » contre du pétrole d’une autre catégorie d’autres pays, l’entreprise devra être moins frappée par ce processus.

La production de pétrole de l’entreprise est en hausse ainsi que les découvertes qui se succèdent depuis que le scandale a éclaté.

Et même si pertes il y avait – et il n’y en a pas – dans l’extraction du pétrole pré-salifère qui dépasse déjà les 500 000 barils par jour, cela vaudrait encore la peine pour le pays, pour l’effet multiplicateur des activités de l’entreprise, de garantir, avec une politique au contenu national minimal, des milliers d’emplois dans la construction navale, l’industrie des équipements, la sidérurgie, la métallurgie, la technologie.

La Petrobras fut, est et sera, avec toutes ses difficultés, un instrument d’une importance stratégique essentielle pour le développement du pays, particulièrement pour les États où elle est la plus présente comme celui de Rio de Janeiro.

Au lieu de l’achever comme beaucoup le souhaiteraient, le Brésil aurait besoin de deux, trois, quatre, cinq Petrobras.

Faut-il punir les voleurs qui ont pris dans ses poches ?

Personne n’en doute.

Mais il convient aussi de rappeler une vérité claire comme de l’eau de roche.

La Petrobras n’est pas seulement une entreprise.

C’est une nation.

Un concept.

Un étendard.

C’est pour cela que sa valeur est si grande, incommensurable, irremplaçable.

Telle est la conviction qui anime ceux qui prennent sa défense.

Et, sans aucun doute, c’est aussi l’abjecte motivation qui sous-tend les agissements des crapules qui se font fort de la détruire.

Notes de la traduction

[1]. De « entregar » : remettre, offrir. Les « entreguistas » sont des hommes politiques et d’affaires qui, notamment dans les années 1990 à l’apogée de ce mouvement auquel le texte fait référence, cherchaient à brader les intérêts du pays au profit d’intérêts privés étrangers.

[2]. Scandale autour de pots-de-vin pour l’attribution de marchés publics d’infrastructures de transport (notamment ferroviaire, d’où le Trensalão, trem = train) et d’énergie à São Paulo.

[3]. « Os tucanos », les toucans : sobriquet utilisé pour parler du PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne).

[4]. Il s’agissait d’envoyer de l’argent illégalement à l’étranger par le biais de comptes bancaires de la Banestado (Banque de l’État du Paraná).

UNE QUESTION D´ORDRE - LE PACTE AVEC LA MORT






(Les autres Brésils - Traduction Ruben Garcia Sanchez) - Lorsque Suzana Richthofen, une jeune femme de la haute classe moyenne de São Paulo, a planifié et mis en œuvre le meurtre de ses parents sauvagement assassinés par son petit ami et le frère de celui-ci à coups de barre de fer alors qu’ils dormaient, personne n’a demandé la peine de mort. Bien au contraire, des communautés d’internautes ont surgit, déclarant leur sympathie. De la même façon lorsqu’un Indien Pataxó fut brûlé, alors qu’il dormait, pour l’amusement de gamins de la haute classe moyenne de Brasília, la respectable juge du district fédéral a voulu déclassifier le crime afin de leur éviter de comparaître devant le tribunal du jury. Certaines bonnes gens de la capitale de la République se mobilisèrent afin d’obtenir que les assassins soient excusés. Ceux-ci essayaient seulement de “plaisanter” avec l’Indien. On sut ensuite que ces jeunes avaient droit à un traitement de faveur en prison : l’un d’entre eux sortait pour continuer son cursus à l’université et, entre sa sortie de cours et son retour dans une cellule spéciale du pénitencier, il buvait des bières avec ses amis.

Il est évident que la mort brutale d’un enfant de six ans nous révolte bien plus que l’exécution de deux personnes d’âge moyen, et que celle d’un descendant des braves Indiens Tapuia du littoral de la Bahia, membre d’une petite tribu qui a échappé à l’extermination séculaire.

La mort pour rien

Ce qui choque davantage encore dans le cas du petit João Hélio, c’est l’extrême précarité de la vie dans les grandes villes brésiliennes. On y meurt sans aucune explication, comme si tous nous jouions à la roulette russe avec un pistolet chargé. Lorsqu’on s’y attend le moins, l’unique balle vient à se trouver devant le percuteur et le doigt invisible des circonstances presse la gâchette. Si la mère de l’enfant s’était montrée sur les lieux cinq minutes avant ou cinq minutes après, rien ne serait peut-être arrivé. En sortant du centre de spiritisme à ce moment précis et en choisissant ce trajet, la femme, à son grand désespoir, condamnait son fils à un martyre hors du commun.

Nous avons tous été touchés par ce crime mais nous ne portons pas la même charge de souffrance et de haine qui touche les parents de l’enfant. Ils ont toutes les raisons du monde d’exiger la punition la plus sévère pour les criminels, la mort, même, y compris celle du mineur qui a participé à l’assassinat. Pour peu que l’on considère ce que nous ressentirions si cela arrivait à l’un d’entre nous, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas de limite à la haine, il n’y a aucun moyen de contenir un désir de vengeance personnelle. N’importe quel parent serait capable de tuer l’assassin de son fils ou de sa fille, comme cela est déjà arrivé. La femme qui a poignardé l’adolescent qui avait violenté son plus jeune fils a fait ce que beaucoup d’entre nous serions capables de faire.

Lorsque des crimes aussi barbares sont commis s’ensuit une réaction collective irrationnelle. C’est ce qui arrive aujourd’hui lorsque l’on demande la peine de mort pour les assassins du petit João Hélio. Et cette réaction est d’autant plus disproportionnée qu’elle provient des mass media les plus puissants de notre pays. C’est le moment où la classe moyenne se venge des défenseurs des droits de l’homme. Journalistes et parlementaires ont recours aux adjectifs les plus forts, en mettent plein la vue, gesticulent, demandant à l’État qu’il exerce une vengeance implacable à l’encontre des assassins. Ils oublient que nous tous, criminels ou non, sommes déjà condamnés à mort. Ils oublient aussi que l’exécution d’un quelconque criminel, qu’il soit vieux ou jeune, n’est pas exactement un châtiment. L’agonie d’un condamné dure tout au plus quelques secondes. Après cela, le néant. Une peine de prison d’une bonne durée, dans les conditions carcérales du Brésil actuel serait une punition peut-être pire que la mort.

La fabrication d’un bandit

Comment fait-on un criminel ? Les criminels, sauf dans des cas de psychopathie congénitale, sont construits, ils ne naissent pas criminels. Le nouveau député fédéral Marina Magessi, ex-policier de Rio de Janeiro, ne peut pas être présentée comme gauchiste, comme un défenseur fanatique des “droits des bandits”. Bien au contraire, elle a toujours été perçue comme une “dure” de l’action policière. Dans une déclaration décente à TV Câmara, en compagnie du rappeur MV Bill, Marina Magessi a évoqué que le jour le plus difficile de sa vie avait été l’attaque du bus de la ligne 174 en 2000, à Rio, car elle avait été contrainte d’arrêter une fillette de 12 ans impliquée dans l’incident. Elle résume le problème en disant que dans ces cas-là il n’y a pas de bourreau, mais seulement des victimes. La fillette était autant victime que Sandro do Nascimento, l’assaillant, un survivant du massacre de Candelária qui sera ensuite assassiné par la police, ou que la jeune Geisa Gonçalves, tuée au cours de l’intervention policière.

“Ce n’est pas la pauvreté qui mène au crime, mais plutôt le manque d’inclusion” déclare la même femme à une autre occasion. “A Rio, ces enfants n’appartiennent à rien. Ils n’ont pas de famille, pas d’église, pas d’État”. Puisque nous voulons comprendre plus profondément ce problème, il nous faut dépasser les limites des favelas de Rio et du Brésil. Incités par les mass media, par le cinéma et la télévision surtout, nous choisissons dans cette pauvre culture universelle contemporaine un modèle de vie que l’on peut définir comme un pacte avec la mort. Nous passons une partie de notre existence à voir des balles pénétrant ou non dans des crânes de bandits, nous nous sommes habitués au jets de sang et, dans certains cas, nous avons éprouvé un sentiment de volupté face à des corps qui chutent. Les hommes plus âgés eux-mêmes se souviennent de l’influence du cinéma sur les jeux d’enfants... et la violence d’alors était presque innocente, face à celle qui nous parvient, tous les jours, par la télévision. On jouait alors au gentil et au méchant. Les héros étaient les gentils, et les bandits les méchants. C’était le mythe de la “violence positive” que les Nord-Américains ont créé, avec leurs histoires courtes destinées à distraire les travailleurs immigrés du début du 20è siècle qui furent ensuite mises en scène par des Juifs hongrois, à Hollywood. Bien qu’ait coexisté, en contrepartie, l’art de Chaplin et d’autres, le mythe de la violence a fini par l’emporter. Chaplin était un réalisateur pour qui savait penser.

De nos jours, des enfants de trois, quatre ans, s’entraînent à tuer dans des jeux vidéo dans lesquels seul l’odeur de mort manque aux giclées de sang produites par des balles virtuelles. Les super-héros ont gagné grâce aux électrons.

Le Brésil n’est pas pire

Il y en a qui imputent la violence brésilienne à notre caractère. C’est une conclusion stupide. Le Brésil compte à peu près 200 millions d’habitants, et une partie infime de cette population est impliquée dans ces épisodes violents, que ce soit à la campagne comme à la ville, petite ou grande. Les criminels n’arrivent pas à un demi pour cent de la population. Des crimes atroces, comme le cannibalisme, ont lieu dans le berceau de la civilisation occidentale qu’est l’Europe, cela sans parler des États-Unis où des enfants de dix, onze ans tuent leurs camarades de classe à coups de feu. Les peines sont extrêmement lourdes et dans certains États comme l’Alabama, l’Arizona ou la Louisiane, des enfants de n’importe quel âge pouvaient être condamnés à mort jusqu’au 1er mars 2005, date à laquelle la Cour Suprême a interdit l’exécution des moins de dix-huit ans avec pour base le 8è amendement à la Constitution qui interdit les châtiments cruels. Même cela n’a pas réduit la criminalité juvénile aux États-Unis.

Le juge et le policier

La présidente du Tribunal Fédéral Suprême, Ellen Gracie, a fait une remarque juste : les législateurs ne peuvent agir sous la pression des circonstances. Il est nécessaire de voir un problème sous tous les angles. Ici, malgré toute la différence biographique entre la juriste et l’inspecteur de police élue député, les deux se trouvent du même côté de la raison. Pour l’une, il est nécessaire que la loi reste dans la logique du droit, pour l’autre, qui connaît la réalité de près, il est difficile de faire la différence entre bourreau et victime. Et, puisque nous avons cité le rappeur MV Bill, nous ne pouvons mépriser son dur message, du moins en ce qui touche au trafic de drogue. C’est le drogué de la classe moyenne (lui aussi victime d’un mode de vie oppressif) qui fait le trafiquant. Et nous pouvons encore développer : ce sont les drogués nord-américains et européens, et ceux qui “lavent” l’argent sale du trafic, qui promeuvent la culture de la coca en Amérique du Sud et celle du pavot en Afghanistan qui connaît une croissance et ce malgré l’invasion militaire étrangère. Il est bon de rappeler que les Anglais ont mené deux guerres contre la Chine (avec pour alliés les Français dans la seconde) car le gouvernement chinois avait interdit l’usage de l’opium et la très puritaine Angleterre de l’ère victorienne était l’exportatrice du narcotique cultivé en Inde vers l’Empire du Milieu. Le monde anglo-saxon a toutes les raisons de craindre une revanche jaune.

Enfin, ceci ne constitue que quelques réflexions pour ceux qui ne s’amusent pas durant le carnaval.

Notes
[1] (NdlR) Le petit João Hélio Fernandes se trouvait dans sa voiture avec sa famille lorsque des braqueurs ont volé la voiture. Tous ont pu sortir sauf le garçon qui est resté accroché par la ceinture de sécurité à la voitue pendant 7 km.

AVANT LA TOURMENTE






(Les autres Brésils - Traduction Monique Sessin) - On ne peut comparer un gaúcho [1] avec un goiano [2] bien qu’ils aient l’élevage comme principale activité économique. Chacun possède une histoire distincte, une vision du monde et de la politique spécifiques. Ces questions régionales peuvent donner le ton des alliances en 2006.

Peut-être que les acteurs politiques seront amenés aux nécessaires réflexions pendant le reste de l’année, mais, en février, les vents seront turbulents. Il y a, dans le processus électoral, deux facteurs qui peuvent se confondre ou non selon les circonstances. Le facteur partisan et le facteur fédérateur. Les partis, ils en sont tous conscients, sont amorphes et sans caractère (dans le sens philosophique du terme, c’est-à-dire sans personnalité affirmée), mais non les Etats. Les Etats ont des histoires distinctes, des activités économiques propres, des vues spécifiques de la vie et de la politique.

A commencer par le Rio Grande do Sul, qui a bâti son histoire à la frontière avec les Castillans. On ne peut comparer un gaúcho avec un goiano par exemple, bien que ces deux peuples aient l’élevage comme principale activité économique. A la frontière méridionale du pays, les gaúchos ont du se battre contre les étrangers et même contre l’Empire, au nom de leur droit à l’auto-détermination. Et il est curieux que l’Etat méridional ait, tout au long de son histoire, plus d’affinités avec les mineiros [3] qu’avec qui que ce soit d’autre, même avec les paulistas [4].

Les mineiros et les gaúchos, motivés par leurs affaires, ont frayé des chemins qui traversent São Paulo et le Paraná, qu’ils ont parcouru pendant une grande partie du 18ème et 19ème siècles. Lors des ces allées et venues, de nombreux mineiros sont restés dans le Rio Grande et de nombreux gaúchos sont allés dans l’Etat de Minas Gerais, soit pour étudier à Ouro Preto (comme les frères Vargas), soit pour s’établir dans les montagnes. Sur le plan intellectuel, cette compréhension a été profonde.

Érico Veríssimo [5] faisait partie d’une famille de Ouro Preto et le grand auteur moderniste mineiro Guilhermino César a vécu la plus grande partie de sa vie à Porto Alegre. On peut se rappeler l’union entre les mineiros et les gaúchos, qui on constitué l’Alliance Libérale, qui a décidé la Révolution de 1930 et l’a consolidée en 1932.

Nonobstant cette affinité, les mineiros et les gaúchos conservent des différences considérables. A présent, les trois Etats du Sud forment une région politique intéressante, surtout du fait d’être gouvernés par le même parti, le PMDB (Partido do Movimento Democrático Brasileiro). Requião, Luis Henrique et Rigotto [6] peuvent être très différents, dans leur personnalité politique, mais ils savent que, pour le bien de leur région, qui se distingue dans le pays par son développement économique et culturel, ils doivent trouver un terrain d’entente dans le processus électoral à venir.

Le PMDB vit ce moment singulier, celui de se distinguer dans le jeu politique en cours. Ce qui lui a nuit - être à l’écart des centres névralgiques de décision du pouvoir, pour n’avoir jamais exercé, en tant que parti, la présidence de la République - l’a préservé de l’usure pendant ces trois mandats présidentiels. Le fait que José Sarney [7] ait rejoint le parti ne signifie pas que celui-ci ait pleinement exercé le pouvoir, en période de transition constitutionnelle et d’alliances compulsives.

Le PMDB historique - auquel appartiennent les trois gouverneurs du Sud - ne parait pas enclin à accueillir la candidature de Monsieur Garotinho [8]. Le parti de Ulysses, Tancredo, Pedroso Horta, Franco Montoro, Martins Rodrigues et tant d’autres hommes sérieux ne peut s’en remettre aux commandements de l’animateur radio de Campos, qui fait les prêches politico-evangéliques que l’on connaît. Monsieur Garotinho est tout autant « péèmdébiste » que Monsieur José Alencar [9] est pasteur de l’Eglise Universelle, et Monsieur Mangabeira Unger citoyen d’une seule patrie [10].

Les ex-gauchistes, qu’ils soient du PT, du PPS, du PSB, du PSDB, ou de l’une quelconque de ces autres légendes effacées par le pragmatisme électoral, se sont retrouvés plus perdus que des collégiens dans les Andes. Certains ont perdu la direction, d’autres ont perdu les idées et il y a ceux qui ont perdu la honte. L’espoir est que, sur les légendes partisanes, qui n’ont plus de sens, les forces politiques régionales puissent se rejoindre, par le biais des gouverneurs, afin d’aller dans le sens d’une alliance qui rétablisse les valeurs républicaines.

Le fait est que la Nation, désillusionnée, affligée, n’accepte plus une période de stagnation économique et sociale. Le Brésil aspire à des juscelinos [11], qui l’amèneraient à créer et à construire sa grandeur et sa souveraineté avec enthousiasme, et veut se débarrasser des « honorables exécutants des compromis internationaux ».

Chávez et Kirchner sont là pour montrer que, gris ou rayés, les chats sont des chats ; ce ne sont pas des tigres, ni des jaguars.

[1Habitant des Etats du Sud du Brésil
[2Habitant de l’Etat de Goias
[3Habitants de l’Etat de Minas Gerais
[4Habitants de l’Etat de Sao Paulo
[5Ecrivain gaúcho
[6Germano Rigotto, gouverneur de l’Etat du Rio Grande do Sul ; Luís Henrique da Silveira, gouverneur de l’Etat de Santa Catarina ; Roberto Requião, gouverneur de l’Etat du Paraná
[7Président de la République de 1985 à 1990. Actuellement sénateur. Egalement écrivain.
[8Anthony Garotinho, évangélique, ex-gouverneur de l’Etat de
Rio de Janeiro et ex-candidat à la présidence de la République en 2002 ; mari de Rosinha Matheus, gouverneur actuel de l’Etat de Rio ; actuellement dirigeant du PMDB de Rio ; pré-candidat à la présidence en 2006
[9Vice-président du Brésil, vient de prendre la tête du Parti républicain (PR) associé à l’Eglise Universelledu Royaume de Dieu. Devrait se présenter à la présidence en 2006
[10Roberto Mangabeira Unger, professeur de droit à Harvard, vient d’adhérer au PR de José Alencar
[11De Juscelino Kubitschek de Oliveira (1902-1976), président de la République de 1956 à 1961

LE SOCIOLOGUE ET LA FAIM






(Les autres Brésils - Traduction G. da Costa) - Le président Fernando Henrique Cardoso a affirmé, au Portugal, qu’autrefois il désirait être poète ; découragé par un professeur de portugais, il s’est finalement dirigé vers la sociologie. Il aurait pu, si l’on en croit ses dires, prendre n’importe quelle direction car il était disponible.

Fils d’un officier réputé de l’Armée, porteur d’un nom paternel renforcé par quelques décades de pouvoir oligarchique et, on l’apprend, porteur de la noblesse exceptionnelle du sang amérindien par le côté maternel, il pouvait choisir, et il a choisi, la sociologie, cette discipline qui n’a aucun compromis avec la créativité et qui s’attache à analyser les structures sociales existantes.

Les sociologues, seigneurs de la logique descriptive, sont dispensés de logique normative et, plus encore, de sentiments de solidarité. Les sociologues voient les phénomènes dans leur ensemble, dans leurs contours statistiques. C’est ainsi que Fernando Henrique a pu dire, en Angleterre, que personne n’a faim au Brésil. Nous n’avons pas, au Brésil, de zones où la faim sévit et frappe tout le monde. Nous n’avons pas de province de la faim, comme le fut le Biafra et le sont aujourd’hui de grandes contrées en Afrique.

La faim, ici, va de pair avec la gloutonnerie. D. Helder Câmara me confiait, il y a plus de trente ans, qu’il avait ressenti l’appel de l’apostolat politique le jour où, jeune prêtre, il fut convoqué pour administrer les saintes huiles à deux paroissiens - l’un mourait d’inanition, et l’autre, obèse, avait explosé un anévrisme suite à un copieux déjeuner. Tout cela, dans le vieux Nordeste en conflit.

Fernando Henrique n’a sûrement jamais vu quelqu’un rongé par la faim. Lui-même, en ce qui concerne la faim, doit en savoir autant que sur la géologie du rêve. Donc, nous n’avons pas faim - nous sommes victimes de dénutrition. En effet, mis à part ceux qui meurent, il n’y a pas de faim, il n’y a, réellement, que la soit-disant dénutrition : cette carence en calories et en protéines qui réduit le corps et réduit le temps de vie, qui réduit la capacité de raisonnement et qui vole à l’homme ses rares joies d’exister.


Le président est en train de se surpasser dans les conseils qu’il donne, directement ou indirectement, à son successeur. Même s’il laissait un pays prospère, avec un trésor bien rempli, le plein emploi, les services publics fonctionnant comme ils le devraient et les indices de développement en hausse, ce ne serait pas à lui de dire à celui qui a été élu sur un projet d’opposition ce qu’il devrait faire et comment il devrait le faire. 


Ceux qui ont participé à l’élection de Lula, comme partisans, alliés, ou simples électeurs, peuvent, avec légitimité, dire ce qu’ils pensent et ce qu’ils attendent de leur futur gouvernement. Mais au président sortant, il manque la discrétion nécessaire. S’il continue dans cette direction, Fernando Henrique cessera d’être inconvenant pour devenir ridicule.